« L’intention des parfums est de produire un effet enivrant et séduisant. »
Patrick Süskind, dans son ouvrage le plus célèbre, confère aux parfums une conscience, une volonté : celle de nous faire tourner la tête. Ce n’est donc pas un hasard s’ils font partie, depuis toujours, de la panoplie d’armes de séduction utilisées par les hommes et les femmes. Mais les premiers à les employer à leur avantage ne sont autres que les végétaux. C’est d’ailleurs d’eux que l’on extrait ces délicats effluves, même si certains nous intéressent plus que d’autres… Fleurs, agrumes et arbres résineux font partie des ingrédients indispensables de nos eaux de toilette et produits « bien-être ». Notre attrait irrésistible envers ces plantes a une explication : les terpènes qu’elles émettent.
Self-défense odorante
Dans la nature, les plantes sont livrées à elles-mêmes. Si l’on pense souvent à la chaîne alimentaire animale, il ne faut pas oublier que les végétaux aussi, font l’objet d’agressions. Et, comme tout le monde, ils n’aiment pas ça. Ces satanés pucerons et autres nuisibles qui viennent les parasiter, ils n’en ont cure ! S’ils ne peuvent pas s’enfuir en courant ou coller une trempe à ces indésirables, ils disposent d’un moyen de défense redoutable : ils peuvent produire des molécules qui font fuir les importuns. Il y a la nicotine, aux propriétés insecticides, que le tabac fabrique pour éloigner les insectes. Mais celles qui nous intéressent dans ce dossier font partie d’une autre famille, celle des terpènes.

C’est le chimiste allemand Friedrich Kekulé von Stradonitz qui va les nommer le premier, en 1863. Le nom « terpène » vient de la térébenthine (« Terpentin » dans la langue de Goethe), issue de la sève du pin. Cette dernière, en plus des acides résiniques, contient des hydrocarbures qui la rendent utile dans plusieurs domaines : médical (baumes etc.), industriel (solvants) et énergétique (carburants).
Les terpènes sont ces hydrocarbures que les plantes produisent afin de se protéger des agressions extérieures. Elles peuvent ainsi, en cas d’attaque d’un nuisible en particulier, émettre une odeur qui va les faire fuir, eux spécifiquement. Drôlement malin. Mais, leurs vertes manigances ne s’arrêtent pas là. Si elles ne disposent pas, dans leur arsenal, de l’odeur qui va faire déguerpir leurs parasites, elles sécrètent alors celles qui vont rameuter les prédateurs de ces derniers. Machiavélique ! Mais ne voyons pas qu’une pulsion de mort dans leur utilisation des terpènes, au contraire, puisqu’ils servent aussi à attirer les pollinisateurs, à survivre aux variations de température…
Dans le royaume végétal, certaines espèces sont particulièrement bien armées en matière de terpènes : les conifères, les agrumes, les plantes aromatiques…

Irrésistibles fragrances
Qui n’a jamais laissé égarer son esprit dans une forêt de pins ou en bordure d’un champ de lavande, enivré par les parfums qui s’en dégagent ? Qui n’a jamais humé un citron ou une branche de thym, à pleins poumons, comme pour s’en nourrir olfactivement ? Qui n’a pas, dans son armoire à pharmacie, une petite fiole d’huile essentielle d’eucalyptus, de menthe ou d’arbre à thé ? C’est inscrit en nous, c’est primitif : on le sait, ces plantes sont bonnes pour nous.
Là encore, les terpènes sont les responsables. Utilisés par la médecine depuis des siècles, nous les retrouvons dans de nombreux traitements. L’aromathérapie les a d’ailleurs classifiés selon leurs vertus : stimulantes, antiseptiques, antalgiques, neurotoniques, antispasmodiques, etc.
Cela explique aussi leur présence dans nos parfums. L’art, le beau, le bon, tout cela est souvent perçu comme subjectif. Pourtant, en termes d’odeurs, le consensus semble presque universel : il y a les bonnes, et les mauvaises. À nouveau, il faut remonter aux origines de l’Homme, ces temps primitifs où nous expérimentions le monde, la faune et la flore, parfois à nos risques et périls. Des milliers d’années plus tard, nous avons conservé cette mémoire : ce qui a une odeur plaisante est bon pour nous ; et inversement avec ce qui sent mauvais.
« Les molécules parfumées sont essentiellement des huiles qui libèrent un parfum thérapeutique » S.KAPLAN
Le cas du chanvre
Le cannabis fait partie des plantes productrices de terpènes. Et pas qu’un peu : on en dénombre entre 100 et 200 dans ce végétal, selon sa variété. Si ces molécules sont responsables de son odeur et de sa saveur, leur action ne s’arrête évidemment pas là. En effet, outre le plaisir gustatif, le consommateur pourra aussi bénéficier des vertus de chacun de ces terpènes, de façon isolée.
Mais les terpènes n’agissent pas que séparément, bien au contraire. Ainsi, s’ils n’interviennent pas directement sur le système endocannabinoïde de la même façon que les cannabinoïdes (c’est-à-dire en se liant aux récepteurs CB1 et/ou CB2), ils entrent en synergie avec ceux-ci. Il s’agit du fameux « effet d’entourage » qui rend l’impact des principes actifs combinés supérieur à celui qu’ils produisent isolément. Ainsi, certains terpènes, consommés de concert avec du THC, pourraient diminuer son effet intoxicant tout en augmentant son potentiel thérapeutique.
Cela serait notamment très utile dans l’optique de l’utilisation de cannabis psychoactif dans un cadre médical. Cette « synergie terpéno-phytocannabinoïde », dont les recherches actuelles n’ont mis en lumière qu’une infime partie, renferme encore de nombreux secrets. Des mystères qui pourraient d’ailleurs mettre à mal certaines théories actuelles. Parmi celles-ci, l’on entend souvent que les variétés de cannabis sont divisées en deux grandes familles : sativa et indica. La première serait plus énergisante, quand la seconde aurait un plus grand pouvoir sédatif. Pourtant, plus qu’une histoire de variétés, il pourrait s’agir de profils terpéniques. Ainsi, une variété sativa riche en terpènes aux propriétés sédatives serait potentiellement plus calmante qu’une indica qui en serait dépourvue. Et vice versa…

Les terpènes vedettes
Parmi les dizaines de terpènes communs produits par le cannabis, cinq sont particulièrement importants. Le myrcène, que l’on retrouve dans les mangues, le houblon, le thym, la citronnelle ; le limonène, aussi présent dans la menthe, le genévrier, le romarin et le pin ; le pinène, qui, comme son nom l’indique, peut provenir du pin comme d’autres arbres, ou du romarin ; le linalol, trouvable dans des champignons et de l’huile de lavande ; et enfin, le bêta-caryophyllène – seul terpène en capacité de se lier à un récepteur cannabinoïde (CB2) – que le poivre noir, le romarin et le houblon peuvent aussi produire. Chacun a des propriétés qui lui sont propres, que ce soit du point de vue organoleptique ou de leurs effets.

Profitez-en…
Les terpènes, contrairement au THC, n’ont pas d’effet psychoactif. Mais, à l’instar de certains cannabinoïdes comme le CBD, ils permettent de réguler l’homéostasie, notamment grâce à leurs interactions avec les systèmes sérotoninergique et dopaminergique. Leur rôle fondamental dans l’effet d’entourage, où ils entrent en synergie avec les autres principes actifs de la plante, fait d’eux des molécules dont il ne faut pas se passer dès lors que l’on veut profiter au maximum de tous les bienfaits du chanvre.
