Se battre pour obtenir un prêt bancaire, convaincre les investisseurs que vous n’êtes pas un dealer de drogue, chercher un prestataire de paiement en ligne qui vous accepte comme client… Ces difficultés, tous les entrepreneurs du CBD les connaissent depuis la naissance de la filière. Et même si l’arrêté de décembre a été suspendu, dans l’attente de la décision du Conseil d’État, nombre de banques et de fonds d’investissement refusent encore de voir leur nom associé au cannabis.
Une filière comme les autres
Cependant, les lignes sont entrain de bouger, et les acteurs du secteur pourraient bientôt voir enfin le bout du tunnel. En février dernier, l’Union des professionnels pour la valorisation des extraits de chanvre (UIVEC) a organisé un colloque avec Bpifrance.
La plus grande institution publique de financement du pays y a présenté ses dispositifs d’aide accessibles aux professionnels du CBD. « Les représentants de BPI ont insisté sur le fait que l’arrêté faisait définitivement du CBD une filière comme les autres, et que ses entrepreneurs ont donc accès aux mêmes dispositifs que n’importe quelle start-up ou PME », résume Ludovic Rachou, président de l’UIVEC. La plupart de ces soutiens consistent en des garanties de financement qui tranquillisent les banques en sécurisant une partie des prêts accordés, ou en des programmes de cofinancement, conditionnés à un premier financement bancaire. « Leur principal intérêt est de pouvoir afficher l’implication d’une institution publique, ce qui rassure les banques et les pousse elles-mêmes à prêter ou investir. » En effet, si la Caisse d’épargne ou BNP Paribas par exemple sont aujourd’hui relativement ouvertes à la perspective de soutenir des entreprises chanvrières, le président de l’UIVEC note que les autres grandes banques françaises restent en retrait. « Aujourd’hui, elles sont frileuses non pas pour une raison d’image du CBD, puisqu’elles n’ont aucun problème à proposer des services d’escompte ou d’affacturage, mais par peur d’un nouveau changement de la réglementation qui ne permettrait pas un développement à long terme des entreprises. La confiance accordée par la Banque publique d’investissement devrait aider, même si rien ne sera clair tant que la législation ne sera pas établie définitivement. »
La fleur toujours en question
En revanche, détail notable, les aides de Bpifrance ne sont pas disponibles pour le marché des fleurs et feuilles de CBD brutes, puisque sa légalité pose encore question. Pour rappel, l’interdiction de ces produits dans l’arrêté du 30 décembre 2021 a pour l’instant été suspendue mais son éventuelle suppression doit attendre l’audience auprès du Conseil d’État dans le cadre d’un recours pour abus de pouvoir lancé par plusieurs syndicats de la filière, et dont la date n’est pas connue à l’heure où nous écrivons ces lignes. D’autre part, si le soutien de Bpifrance devrait progressivement amener les banques à se lancer dans l’aventure, la situation est bien plus compliquée du côté des fonds d’investissement. « La plupart ont inscrit dans leurs statuts l’impossibilité d’investir dans quoi que ce soit qui soit de près ou de loin lié à la drogue… ce qui inclut les cannabinoïdes », regrette Ludovic Rachou.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets chez les Gafa… Alors que les spots publicitaires de CBD shops commencent à fleurir sur les radios et chaînes de télévision françaises, il faudra probablement attendre encore longtemps avant d’avoir droit aux Facebook et Google Ads.
« Les entrepreneurs du CBD ont accès aux mêmes dispositifs que n’importe quelle start-up ou PME »
Des aides à l’innovation pour l’agroalimentaire
Autre coup de main proposé par Bpifrance : des aides à l’innovation, principalement pour les aliments au CBD, ceci afin de financer les études visant à obtenir l’agrément européen “Novel Food”. « Pour pouvoir développer cette filière, il faut être en mesure de justifier de la non-toxicité des produits en question. Mais ces études sont très coûteuses, et donc difficilement abordables pour des PME », explique Ariane Voyatzakis, responsable du secteur agroalimentaire chez Bpifrance. Ces aides, d’un montant minimum de 50 000 € – variable selon le projet d’étude – sont versées en subventions.
Ariane Voyatzakis attire également l’attention des entrepreneurs de ce secteur sur l’appel à projet « Besoins alimentaires de demain ». Lancée en novembre, cette initiative propose des aides beaucoup plus importantes, à partir de 500 000 € pour des projets de R&D dans le secteur alimentaire, y compris à base de cannabinoïdes. Ces aides consisteraient en un mix de subventions et d’avances récupérables en cas de succès du projet.
Alpha Blue Ocean rejoint le SPC
Preuve que la situation évolue sur le front du financement des entreprises de CBD, le Syndicat professionnel du chanvre (SPC) a annoncé en mai dernier l’adhésion d’Alpha Blue Ocean. Ce fonds d’investissement européen créé en 2017 s’est déjà illustré dans le secteur, en soutenant notamment Phytocann. « Dans un contexte où l’accès à des prêts bancaires reste une gageure pour les acteurs du chanvre et du CBD, le partenariat que nous nouons avec ABO est un signal extrêmement positif, résume Aurélien Delecroix, président du SPC. Il démontre que les fonds d’investissement à la pointe de l’innovation, à l’image d’ABO, sont désormais sensibles et sensibilisés à ce secteur émergent et seront donc un levier essentiel pour assurer, notamment en France, l’émergence d’une filière du chanvre CBD.