Cannabis médical : la France joue la montre

Une expérimentation censée s’achever au printemps 2023 aurait pu mener à l’autorisation du cannabis médical. Elle a été prolongée par le ministre de la Santé, au grand dam d’élus, de médecins et de patients qui dénoncent un manque de courage politique.

Cannabis médical : la France joue la montre

L’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques sera-t-elle un jour autorisée en France ? C’est le souhait de plusieurs élus, médecins et patients qui s’appuient sur la législation et les pratiques en vigueur dans d’autres pays. La substance n’y est pas prescrite pour combattre une maladie mais pour atténuer les douleurs ou l’anxiété de certains patients, notamment ceux atteints d’un cancer.

Plusieurs États américains ont autorisé le cannabis dit « médical », à distinguer du chanvre bien-être ou à usage récréatif. C’est aussi le cas d’Israël. Au Japon, son utilisation a été recommandée par un groupe d’experts qui a étudié la question. La France, elle, n’est pas décidée à franchir le pas.

Il manquait 1 000 patients

Début octobre, à l’occasion d’un déplacement dans la Sarthe, le ministre de la Santé, François Braun (nommé le 4 juillet dernier), a indiqué que l’expérimentation menée depuis deux ans allait être prolongée. Cette phase de tests aurait dû s’achever au printemps 2023. En cas de résultats concluants, l’Assemblée nationale aurait été invitée à voter l’usage et la généralisation du cannabis médical. S’ils avaient été adoptés, l’ensemble des médecins auraient pu prescrire cette substance dans des conditions très strictes, avec des indications précises.

« On n’a pas le nombre de patients suffisants pour tirer les conclusions », a expliqué le ministre de la Santé pour justifier sa décision. Trois mille patients devaient être suivis durant cette expérimentation, menée sous le contrôle de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Elle n’en a réuni que 2 000.

L’annonce de François Braun a provoqué l’agacement d’associations de patients et d’addictologues qui dénoncent un manque de courage politique. À leurs yeux, l’intérêt d’une utilisation thérapeutique n’est plus à prouver. Il s’agit uniquement de déterminer si on peut l’imposer à une grande échelle.

Les défenseurs de cet usage rappellent que l’an dernier, une étude publiée par le British Medical Journal avait conclu que le cannabis médical permettait d’améliorer à des degrés divers la sensation de douleur et le sommeil chez des patients souffrant de maux chroniques, même si cela s’accompagnait fréquemment d’effets secondaires.

En toile de fond, la légalisation totale

Pour ces mêmes partisans, la frilosité du gouvernement s’inscrit dans une logique sur la question toujours sensible de la légalisation du cannabis. L’autorisation de cette substance à des fins thérapeutiques serait un pas de plus vers la libéralisation totale du cannabis (donc, celui à usage récréatif). Une option écartée de manière très ferme par le président de la République, Emmanuel Macron, et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Selon l’association Santé France Cannabis, qui fait entendre la voix des porteurs de projets français dans le secteur du cannabis à usage médical, « les conditions ne semblent pas réunies à l’heure actuelle pour permettre un accès des patients aux médicaments à base de cannabis ». Le principal obstacle : « l’absence d’un cadre clair » concernant sa production, explique Santé France Cannabis.

L’Académie nationale de médecine et l’Académie nationale de pharmacie ont émis des critiques sur l’expérimentation en cours, affirmant qu’elle tenait les bienfaits thérapeutiques du cannabis comme acquis. Pour elles, le débat n’est pas tranché.

L’EXEMPLE CALIFORNIEN
La Californie a été le premier État américain à légaliser le cannabis à usage médical. En novembre 1996, les électeurs avaient approuvé la proposition 215, qui allait à l’encontre de la législation nationale en matière de stupéfiants. Dans la foulée, la loi californienne avait autorisé la culture, la possession et l’usage de cannabis pour les résidents disposant d’une prescription de leur médecin (une recommandation écrite ou orale).
Le recours au cannabis thérapeutique était autorisé pour les patients atteints d’une maladie bien précise. La liste comprenait les cancers, le sida, l’épilepsie, l’arthrite et la sclérose en plaques. Un patient pouvait posséder jusqu’à 8 onces (224 grammes) de cannabis séché et/ou cultiver six pieds de chanvre adultes chez lui, sauf dérogation.
La Drug Enforcement Administration (DEA), qui dépend du département de la Justice américain, a procédé à des contrôles réguliers parmi les producteurs et les dispensaires proposant du cannabis à usage médical. Étaient ciblés les transactions douteuses, les profits anormalement élevés et les opérations tout simplement illégales. La DEA soupçonnait les narcotrafiquants d’utiliser ce réseau pour écouler leur marchandise et augmenter leurs bénéfices.
À la fin des années 2010, plus de 1,2 million de résidents californiens avaient recours au cannabis thérapeutique selon les estimations, soit 3 % environ des habitants du « Golden State ».
Le 8 novembre 2016, une nouvelle étape a été franchie dans le processus de libéralisation. Les électeurs californiens étaient cette fois appelés à se prononcer sur la légalisation du cannabis à usage récréatif – sous forme sèche et concentrée. Ils ont dit « Oui » à 57 %. Depuis 2018, la production, la commercialisation et la consommation de cannabis sont autorisées dans cet État sans distinction d’usage. Toute personne âgée de plus de 21 ans peut acheter 1 once (28 grammes) de cannabis par jour, sur présentation de ses papiers d’identité. Il n’est pas nécessaire de résider dans l’État. Le cannabis au volant, dans les lieux publics, les parcs nationaux et les forêts, c’est non. Interdiction aussi d’en transporter d’un État à un autre, même si tous deux autorisent le cannabis récréatif – loi fédérale oblige.
Inutile de préciser que la Californie est devenue l’un des paradis des amateurs d’or vert (2e plus gros marché cannabique après le Canada).

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